Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/334

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qu’elle était dénuée de talent dramatique, elle observait cependant que les procédés qu’on employait pour la juger ne relevaient pas du domaine de la critique : les jugements portés sur ses pièces étaient empreints de parti-pris. Elle écrit à ce propos à Édouard Charton dans sa lettre du 20 novembre 1858 :

Que vous dire de moi, maintenant, à propos de théâtre ? je ne sais pas. C’est un jour oui et un jour non. Ai-je du talent pour cela ? Je ne crois pas ; j’ai cru qu’il m’en viendrait, je me dis encore quelquefois sous mes cheveux gris, qu’il peut m’en venir. Mais on a tant dit le contraire que je n’en sais plus rien, et que j’en aurais peut-être eu pure perte. Si les auteurs sont rares et mauvais, comme vous le dites, c’est peut-être bien la faute du public, qui veut de mauvaises choses, ou qui ne sait pas ce qu’il veut Montigny m’écrivait dernièrement : « Que faut-il faire pour le contenter ? Si on lui donne des choses littéraires, il dit que c’est ennuyeux ; si on lui donne des choses qui ne sont qu’amusantes, il dit que ce n’est pas littéraire. Le fait m’a paru constant dans ces dernières années. On se plaignait de voir toujours la même pièce ; mais toute idée nouvelle était repoussée ? Que faire. N’y pas songer et écrire quand le cœur vous le dit. » C’est ce que je ferai quand même…

Il est très curieux aussi de noter que, tandis que le vieil ami de Mme Sand, Eugène Delacroix, toujours à propos de Favilla, écrivait dans son journal à la date du 12 janvier 1856 : « Excellente donnée que la pauvre amie n’a pas fait ressortir, » et ajoutait :

Cette obstination à poursuivre un talent qui lui manque, la classe dans un rang inférieur. Il est bien rare que les grands talents ne soient pas portés d’une manière presqu’invincible vers les objets qui sont de leur domaine. On peut s’abuser dans sa jeunesse, mais plus tard non…

Tandis que cet ami jugeait si sévèrement Mme Sand, ce fut Émile Zola, l’ennemi du romantisme, qui défendit et le talent dramatique de George Sand et son droit à introduire dans des œuvres dramatiques des éléments que l’on prétend impropres pour la scène, et en général le droit de sortir du cadre convenu

    cf. aussi avec sa lettre à Maurice du 10 juin 1858 (Corresp., t. IV, p. 169-141) où elle parle avec une bonhomie pleine de gaieté du peu de succès de ses pièces.