Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/424

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cœur un élan très enthousiaste et très passionné pour celui, quel qu’il soit, qui a fait ces deux grandes choses : la vie et le repos, l’activité et le sommeil. Ah ! nous voilà dans les nuages, moquez-vous de votre m’man, mais aimez-la tout de même, sa toccade n’a rien de mauvais.

Donnez de vos nouvelles, quand ça ne vous ennuie pas, et revenez sitôt que le cœur dira : allons.

Je ne vous charge de rien pour ceux qui vous entourent : mais vous savez que j’aime qui vous aime.

Manceau pionce, mais je ne jurerais pas qu’il ne pensât à vous quand même en rêve.

En voilà un que vous pouvez estimer sans crainte de déception. Quel être tout cœur et tout dévouement ! C’est bien probablement les douze ans que j’ai passés avec lui du matin au soir qui m’ont définitivement réconciliée avec la nature humaine. Il y a aussi Maurice marchant toujours droit et sagement dans son chemin tracé — et puis il y a moi qui suis capable de reconnaissance et d’appréciation. Alors, je me disais dans mes restes de vieux spleen : Eh bien, si nous sommes trois bous cœurs pas bêtes au fond, il y en a certainement d’autres, et probablement beaucoup d’autres, car nous ne pouvons pas avoir la prétention d’être des exceptions de tous points. Nous serions alors des monstres ! Suivez mon raisonnement ! Bonsoir.

… On veut que je sois un personnage. Moi, je ne veux être que votre maman. Vous avez du cœur, puisque vous m’aimez et je ne vous demande que ça. Je ne me suis jamais aperçue de ma supériorité en quoi que ce soit, puisque je n’ai jamais pu faire ce que j’ai conçu et rêvé que d’une manière très inférieure à mon idée. On ne me fera donc jamais croire, à moi, que j’en sais plus long que les autres. Restée enfant à tant d’égards, ce que j’aime le mieux dans les individualités de votre force c’est leur bonhomie et leur doute d’elles-mêmes. C’est, à mon sens, le principe de leur vitalité, car celui qui se couronne de ses propres mains a donné son dernier mot. S’il n’est pas fini, on peut du moins dire qu’il est achevé et qu’il se soutiendra peut-être, mais qu’il n’ira pas au delà. Tâchons donc de rester tout jeunes et tout tremblants jusqu’à la vieillesse et de nous imaginer, jusqu’à la veille de la mort, que nous ne faisons que commencer la vie ; c’est, je crois, le moyen d’acquérir toujours un peu, non pas seulement en talent, mais aussi en affection et en bonheur intime. Ce sentiment que le tout est plus grand, plus beau, plus fort et meilleur que nous, nous conseiTe dans ce beau rêve que vous appelez les illusions de la jeunesse, et que j’appelle, moi, l’idéal, c’est-à-dire la vue et le sens du vrai élevé par-dessus la vision du ciel rampant. Je suis optimiste en dépit de tout ce qui m’a déchirée, c’est ma seule qualité peut-être. Vous verrez qu’elle vous viendra. À votre âge j’étais aussi tourmentée et plus