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Les ouvriers et les jeunes gens, furieux d’avoir été pris pour des cléricaux à l’affaire de Gaëtana d’About, étaient tout prêts à faire le coup de poing. Dans la salle, c’étaient des trépignements et des hurlements à chaque scène, à chaque instant, en dépit de la présence de toute la famille impériale. Au reste, tous applaudissaient, l’empereur comme les autres, et même il a pleuré ouvertement. La princesse Mathilde est venue au foyer me donner la main. J’étais dans la loge de l’administration avec le prince, la princesse, Ferri[1], Mme d’Abrantès. Le prince claquait comme trente claqueurs, se jetait hors de la loge et criait à tue-tête. Flaubert était avec nous et pleurait comme une femme. Les acteurs ont très bien joué, on les a rappelés à tous les actes.

Dans le foyer plus de deux cents personnes que je connais et que je ne connais pas sont venues me biger tant et tant que je n’en pouvais plus. Pas l’ombre d’une cabale, bien qu’il y eût grand nombre de gens mal disposés. Mais on faisait taire même ceux qui se mouchaient innocemment.

Enfin, c’est un événement qui met le Quartier Latin en rumeur depuis ce matin ; toute la journée, j’ai reçu des étudiants qui venaient quatre par quatre, avec leur carte au chapeau, me demander des places et protester contre le parti clérical et me donnant leurs noms.

Je ne sais pas si ce sera aussi chaud demain. On dit que oui, et, comme on a refusé trois ou quatre mille personnes faute de place, il est à croire que le public sera encore nombreux et ardent. Nous verrons si la cabale se montera. Ce matin, le prince a reçu plusieurs lettres anonymes où on lui disait de prendre garde à ce qui se passerait à l’Odéon. Rien ne s’est passé, sinon qu’on a chuté les claqueurs de l’empereur à son entrée, en criant : À bas la claque ! L’empereur a très bien entendu ; sa figure est restée impassible.

Voilà tout ce que je peux dire ce soir ; le silence se fait, la circulation est rétablie et je vais dormir.

Mme Sand décrit la seconde de Villemer dans la lettre écrite également à 2 heures de la nuit du 1er au 2 mars. (Cette lettre est encore tronquée et changée dans la Correspondance. Nous donnons en italiques les passages coupés.)

Mes enfants,

La seconde de Villemer a été ce soir encore plus chaude que celle d’hier. C’est un triomphe inouï, une tempête d’applaudissements d’un bout à l’autre, à chaque mot, et si spontanée, si générale, qu’on coupe

  1. Le général Ferri-Pisani, attaché à la maison du prince Jérôme, grand ami de Mmes Sand et Villot.