Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/519

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chantera le parfait amour ? » Eh bien, oui, quand même ! Vous n’êtes pas pour la chasteté, monseigneur, ça vous regarde. Moi, je dis qu’elle a du bon, la rosse. Et sur ce, je vous embrasse de tout mon cœur et je vais faire parler, si je peux, des gens qui s’aiment à la vieille mode. Vous n’êtes pas forcé de m’écrire quand vous n’êtes pas en train. Pas de vraie amitié sans liberté absolue.

À Paris, la semaine prochaine, et puis à Palaiseau encore, et puis à Nohant…

On voit, rien que par ces deux lettres, la douleur profonde et cachée de Mme Sand. Mais cela peut se voir encore mieux si on lit la Lettre d’un voyageur à propos des Chansons des rues et des bois de Victor Hugo, datée également de « novembre 1865 », dont nous avons déjà parlé plus haut et dont nous citerons à présent quelques passages — le lecteur ne nous en voudra point, car ce sont des pages merveilleuses.

George Sand a la Gargilesse Comme Horace avait l’Anio,

Selon vous — s’adresse-t-elle au grand poète. — poésie ! Horace avait beaucoup de choses et George Sand n’a rien, pas même l’eau courante et rieuse de la Gargilesse, c’est-à-dire le don de la chanter dignement… je n’ai plus à moi qu’une chose inféconde, le chagrin, champ aride, domaine du silence. J’ai perdu en un an trois êtres chers qui remplissaient ma vie d’espérance et de force. L’espérance c’était un petit enfant qui me représentait l’avenir[1] ; la force, c’étaient deux amitiés, sœurs l’une de l’autre[2], qui, en se dévouant à moi, ravivaient en moi la croyance au dévouement utile. Il me reste beaucoup pourtant : des enfants adorés, des amis parfaits. Mais quand la mort vient frapper autour de nous ce qui devait si naturellement et si légitimement nous survivre, on se sent pris d’effroi et comme dénué de tout bonheur, parce qu’on tremble pour ce qui est resté debout, parce que le néant de la vie vous apparaît terrible, parce qu’on en vient à se

  1. Le petit Marc-Antoine, mort deux mois après la Lettre d’un voyageur, d’avril 1864, où Mme Sand « chantait » Gargilesse.
  2. Il ne faut pas oublier que Maillard et Manceau étaient cousins et que c’est par Manceau que Mme Sand avait connu Maillard. Ces deux lignes révèlent d’une manière parfaitement explicite à qui et à quoi doit être attribuée la profonde douleur dont est empreinte cette Lettre adressée à Hugo et qui, par son lyrisme et sa poésie, égale les toutes premières Lettres d’un voyageur datées de 1834-36.