Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/556

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à rentrer, est-ce la merveilleuse réalité avec laquelle elles sont habillées dans le plus petit détail par Mme Sand, est-ce le tout ? Mais ces poupées parlantes auxquelles on s’adresse, qui vous répondent, prennent à tel point les apparences de la vie qu’au bout d’un temps très court on les croit réelles.

Les « habitués » du théâtre qui connaissent les personnages pour ainsi dire en dehors de leurs rôles ou dans l’ensemble de ces rôles, dans leur caractère que Maurice respecte, dans leur genre, car ils ont chacun leur emploi déterminé et ne jouent jamais un rôle en désaccord avec leur talent, avec leur moralité ou leurs vices ; les habitués, dis-je, accordent déjà une part de vie à ces personnages dès qu’ils apparaissent. Chacun a ses préférences, voire ses faiblesses pour tel ou tel. On sait que Plauchut ne peut voir Mlle Olympia Nantouillet sans un plaisir qu’il manifeste. Lina chérit Balandard. Lime Sand a un goût marqué pour le doge de Venise et Gaspardo, le meilleur pêcheur de l’Adriatique. Planet courtise Mlle Ida. Pour moi, un choix s’impose. Coq-en-Bois n’a jamais aimé personne. Il dédaigne le sexe et lui manque souvent de respect. Nous avons le coup de foudre l’un pour l’autre. Je lui fais une déclaration publique, il y répond.

— Comment, toi, Coq-en-Bois, jusqu’ici fidèle à ton nom, toi aussi, malheureux, te voilà pincé ! s’écrie Lina.

Et Coq-en-Bois, après une déclaration brûlante, m’invite à souper « à nous deux » chez Brébant, en cabinet particulier.

Adam proteste et s’écrie : « Ah ! non, par exemple ! »

Nous éclatons de rire. Mme Sand, ravie, déclare qu’Adam s’est laissé prendre, que c’est l’un des plus grands succès de Maurice.

Plus tard, à souper, la pièce finie au milieu de bravos, de rappels, Mme Sand interroge à nouveau Adam sur son interruption,

— Je n’ai pas cru Coq-en-Bois vraiment en vrai, nous dit-il, mais pourtant sa déclaration et sa proposition m’ont en…nuyé !

Le lendemain nous visitons le théâtre, les costumes d’une vérité infinie auxquels Mme Sand travaille depuis plus de vingt ans. Elle est une costumière, une habilleuse incomparable.

Les marionnettes n’ont pas un mètre de hauteur, Édouard Cadol et Eugène Lambert ont seuls aidé Maurice ; le premier à les sculpter, le second à les peindre. Leur visage, leur buste[1], leurs bras, sont garnis de peau, les femmes peuvent être décolletées et les hommes lutter à demi nus. Elles ont des cuirasses en carton de façon à ce qu’elles se tiennent ferme, tantôt assises, tantôt posées sur des supports.

  1. On sait par le livre de M. Plauchut que les « daines » de la troupe, grâce à des « toupies » placées sous la peau qui couvrait leur buste pouvaient même charmer les spectateurs par un décolletage… assez décent.