Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/565

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— quelque chose entre le « russe, mangeur de chandelles » si répandu dans les feuilletons d’il y a un siècle, — et le « général Dourakine » de la « Bibliothèque rose ». Comment George Sand, amie de Louis Viardot, qui non seulement voyagea en Russie, mais encore traduisit si bien Gogol et Pouschkine, l’amie de Charles Rollinat, le traducteur de Tolstoï et Tourguéniew, enfin l’amie de Tourguéniew lui-même, qui vint plusieurs fois à Nohant et dont Mme Sand admirait tant les Récits d’un chasseur, la Nichée de gentilshommes, la Fumée, Roudine[1], Pères et enfants etc., etc., comment George Sand put-elle peindre cet incroyable général Ogokskoï (le nom à lui seul fait rire de pitié tout vrai Russe !) véritable enluminure d’Épinal ! — l’oncle du prince Diomyde Diomyditch Moursakine (nous le disions, cela devait rimer à Dourakine !) non moins grotesque, et pour comble appelé au cours du roman Diomyditch tout court ! Nous ne disons pas cela par chauvinisme ou patriotisme mal entendu, mais pour constater que George Sand avait, en cette occasion, fait preuve de cette même incapacité que parfois les auteurs éprouvent à rendre d’une manière vraie des types étrangers. C’est pour cela que les Japonais s’indignent contre Pierre Loti et sa façon de peindre la vie et les femmes japonaises dans Madame Chrysanthème ; les Italiens, contemporains de Mme Sand, s’étaient révoltés de sa manière de peindre les types italiens dans Daniella. Les Russes ne feront que rire en voyant comment George Sand avait portraituré en guignols grotesques nos héros de 1812-1815.

  1. Par amour de la vérité nous devons toutefois noter ici que dans Francia nous trouvons un jugement de Mme Sand sur Roudine, prouvant que si elle admirait ce roman avec enthousiasme, elle comprenait fort mal le caractère du héros de Tourguéniew. Après avoir écrit : « C’est un trait fort répandu parmi les Russes (!!!) d’opprimer les faibles et de se prosterner devant les puissants » — [trait, hélas, noté par Tacite, Machiavel et La Rochefoucauld, donc un peu partout, ajouterons-nous ! W. K] — George Sand fait cette singulière remarque : « Ivan Tourguéniew, qui connaît bien la France, a créé en maître le personnage du Russe intelligent, qui ne peut rien être en Russie, parce qu’il a la nature du Français. Relisez les dernières pages de l’admirable roman Dimitri Roudine… » Or, on sait que dans Roudine Tourguéniew a voulu peindre un type très répandu en tous pays, celui d’un parleur ne trouvant nulle part de champs à son activité, par excès de réflexion et par manque de volonté.