Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/591

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liens de sentiments, des vices, ne vivre que pax la pensée, être « le roi de la création », c’est, selon George Sand, « le plus grand non-sens qui se puisse dire ». Nous ne sommes ni rois, ni esclaves : nous sommes les membres d’une grande association qui s’appelle le monde, rien de plus, rien de moins.

« Le monde extérieur a toujours agi sur moi », dit-elle plus loin, toutes mes impressions, mes pensées, mes rêves même dépendent de lui : comment peut-on donc parler du libre arbitre absolu ? »

Dès que la toute jeune Aurore Dupin était devenue consciente de sa vie religieuse, elle avait toujours été préoccupée du problème du libre arbitre, de la responsabilité de l’âme devant la loi humaine et devant Dieu. George Sand avait mainte fois soulevé cette question dans ses œuvres[1]. Après cinquante ans de recherches et de réflexions, elle se croit encore dans l’impossibilité de la résoudre définitivement.

Peut-on assurer que nous soyons absolument libres lorsque nous passons plus d’un tiers de notre vie en dormant, et qu’en dormant nous voyons des rêves qui ne dépendent pas, eux aussi, de notre désir de voir ceci ou cela, mais laissent apparaître des choses qui, sous l’influence de notre organisme, dépendent encore du monde extérieur, ont été tirées de ce même monde extérieur, se sont gardées dans notre cerveau et se sont combinées d’une certaine façon, sans aucune participation de notre volonté ? Les gens bien portants voient des rêves périodiquement, les fous toujours, les gens nerveux, les enfants, tous ceux chez qui l’imagination prédomine, très souvent. Et lorsque nous veillons est-ce que nous pouvons toujours être maîtres du cours de nos pensées et partant de nos actions, est-ce que ces pensées ne changent pas parfois entièrement ou ne changent pas de direction, sous l’action du monde extérieur ? La volonté, la volonté guidée par la raison peut certainement faire beaucoup. Mais tout le monde possède-t-il cette volonté raisonnable ? Est-il juste de croire qu’une volonté raisonnable existe chez tout le monde au même degré ? Chez les hommes instruits intelligents, bien éduqués, autant que chez des êtres vivant entièrement en proie à leurs instincts et sous l’influence du monde extérieur ? D’autre part, comment distinguer le moi du non-moi, le moi et l’univers ? Une fois que je suis une partie indivisible du tout et subis l’action des étoiles et de l’air, des plantes et des bêtes, j’agis aussi d’une manière et à un degré inconnus, mais certain sur cet air, sur ces plantes, ces

  1. Voir par exemple l’Histoire de ma vie.