Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/91

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d’œuvre de littérature ou d’art lyrique, avaient été vivement impressionnés par le sujet et la musique de la Muette, qu’ils avaient applaudi toujours à propos, aux passages les plus touchants ou les plus dramatiques de la tragédie ; comment enfin le peuple s’était cotisé pour offrir « un bouquet à Mlle Rachel, qu’on ne le jeta pas brutalement sur la scène, comme le font de prétendus dandies, mais un ouvrier monta sur la scène et, en présentant respectueusement le bouquet à la grande artiste, lui exprima la gratitude de l’auditoire populaire et lui demanda de vouloir bien redire le dernier couplet de la Marseillaise, » au lieu de le lui réclamer grossièrement à grands cris, comme le fait le soi-disant public cultivé. Enfin, à la sortie, le peuple ne voulut pas profiter gratuitement du divertissement que l’État lui offrait, et, se souvenant que tandis qu’il « s’amusait d’autres souffraient », chacun fit une offrande pour les pauvres. Plus on avait décrié ces représentations, plus George Sand mit de joie ironique à constater combien on s’était trompé.

Ces deux articles de critique furent insérés dans les nos 1 et 2 de la Cause du Peuple, parus les 9 et 16 avril. Et dans le même n° 2 parut le Prologue — le Roi attend[1]. George Sand confesse candidement dans la première de ses critiques de théâtre que ce prologue était une espèce de pastiche où l’auteur faisait preuve de bons sentiments et dont l’idée est empruntée à l’Impromptu de Versailles de Molière. Ici comme là, Molière se trouve dans l’embarras : il faut commencer, le roi va venir et la pièce n’est pas encore écrite et les acteurs n’en savent pas un mot. Accourent l’un après l’autre sept « nécessaires » en criant : Messieurs, commencez donc ! Le roi risque d’attendre !… Le roi attend !… Le roi a attendu !… » Les acteurs horripilés se sauvent. Molière, resté seul, dit qu’il se sent, malgré tout, pur de tout reproche, parce qu’il a toujours honnêtement fait

  1. La représentation gratuite, où on avait joué ce Prologue, eut lieu le 7 avril, comme on le voit, par la lettre inédite de George Sand à son fils, datée du 8 avril, et fut « magnifique » ; dans cette lettre, Mme Sand parle du public qui fut pour elle ce qu’il y avait de plus intéressant dans ce spectacle, dans des termes tout aussi enthousiastes que ceux de son article de la Cause du Peuple.