Page:Karl Marx et Friedrich Engels, Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/498

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. Proudhon est donc nécessairement doctrinaire. Le mouvement historique qui bouleverse le monde actuel, se résout pour lui dans le problème de découvrir le juste équilibre, la synthèse de deux pensées bourgeoises. Ainsi à force de subtilité le garçon adroit découvre la pensée cachée de dieu, l’unité des deux pensées isolées, qui sont seulement deux pensées isolées parce que M. Proudhon les a isolées de la vie pratique, de la production actuelle, qui est la combinaison des réalités qu’elles expriment. À la place du grand mouvement historique qui naît du conflit entre les forces productives des hommes déjà acquises et leurs rapports sociaux, qui ne correspondent plus à ces forces productives ; à la place des guerres terribles, qui se préparent entre les différentes classes d’une nation, entre les différentes nations ; à la place de l’action pratique et violente des masses, qui seule pourra résoudre ces collisions ; à la place de ce mouvement vaste, prolongé et compliqué, M. Proudhon met le mouvement cacadauphin de sa tête. Ainsi ce sont les savants, les hommes capables de suspendre à dieu sa pensée intime, qui font l’histoire. Le menu peuple n’a qu’à appliquer leurs révélations. — Vous comprenez maintenant pourquoi M. Proudhon est ennemi déclaré de tout mouvement politique. La solution des problèmes actuels ne consiste pas pour lui dans l’action publique, mais dans les rotations dialectiques de sa tête. Parce que pour lui les catégories sont les forces motrices, il ne faut pas changer la vie pratique, pour changer les catégories. Tout au contraire, il faut changer les catégories et le changement de la société réelle en sera la conséquence.

Dans son désir de concilier les contradictions, M. Proudhon ne se demande pas si la base même de ces contradictions ne doit être renversée. Il ressemble en tout au doctrinaire politique, qui veut le roi et la chambre des députés et la chambre des pairs comme parties intégrantes de la vie sociale, comme catégories éternelles. Seulement il cherche une nouvelle formule pour équilibrer ces pouvoirs dont l’équilibre consiste précisément dans le mouvement actuel, où l’un de ces pouvoirs est tantôt le vainqueur, tantôt l’esclave de l’autre. C’est ainsi qu’au xviiie siècle une foule de têtes médiocres étaient occupées de trouver la vraie formule, pour équilibrer les ordres sociaux, la noblesse, le roi, les parlements, etc., et le lendemain, il n’y avait plus ni roi, ni parlement, ni noblesse. Le juste équilibre entre cet antago-