L’importance du socialisme et du communisme critico-utopiques est en raison inverse du développement historique. A mesure que la lutte des classes s’accentue et prend forme, cette façon de s’élever au-dessus d’elle par l’imagination, cette opposition imaginaire qu’on lui fait perdent toute valeur pratique, toute justification théorique. C’est pourquoi, si, à beaucoup d’égards, les auteurs de ces systèmes étaient des révolutionnaires, les sectes que forment leurs disciples sont toujours réactionnaires, car ces disciples s’obstinent à maintenir les vieilles conceptions de leurs maîtres en face de l’évolution historique du prolétariat. Ils cherchent donc, et en cela ils sont logiques, à émousser la lutte des classes et à concilier les antagonismes. Ils continuent à rêver la réalisation expérimentale de leurs utopies sociales — établissement de phalanstères isolés, création de Home-colonies, fondation d’une petite Icarie1, édition in-douze de la Nouvelle Jérusalem — et, pour la construction de tous ces châteaux en Espagne, ils se voient forcés de faire appel au cœur et à la caisse des philanthropes bourgeois. Petit à petit, ils tombent dans la catégorie des socialistes réactionnaires ou conservateurs dépeints plus haut et ne s’en distinguent plus que par un pédantisme plus systématique et une foi superstitieuse et fanatique dans l’efficacité miraculeuse de leur science sociale.
Ils s’opposent donc avec acharnement à toute action politique de la classe ouvrière, une pareille action ne pouvant provenir, à leur avis, que d’un manque de foi aveugle dans le nouvel évangile.
Les owenistes en Angleterre, les fouriéristes en France réagissent les uns contre les chartistes, les autres contre les réformistes2.
2 Il est question des partisans du journal La Réforme. Edité de 1843 à 1850 à Paris. (N.R.)