Page:Karl Marx et Friedrich Engels - Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/249

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vu ; la scène de séparation forme alors le point culminant du poème. Les Français du Nord, et même les braves Allemands, adoptèrent, eux aussi, ce genre poétique, avec les manières de l’amour chevaleresque qui y correspondaient ; et notre vieux Wolfram von Eschenbach a laissé, sur ce thème piquant, trois ravissants Tagelieder que je préfère à ses trois longs poèmes héroïques.

De nos jours, un mariage bourgeois se conclut de deux façons. Dans les pays catholiques, ce sont, comme autrefois, les parents qui procurent au jeune fils de bourgeois la femme qu’il lui faut ; et la conséquence naturelle en est le plus parfait développement des contradictions qu’enferme la monogamie : hétaïrisme florissant du côté de l’homme, adultère florissant du côté de la femme. Si l’Église catholique a aboli le divorce, c’est uniquement, sans doute, parce qu’elle a reconnu qu’il n’y a pas plus de remède à l’adultère qu’à la mort. Par contre, dans les pays protestants, il est de règle que le fils de bourgeois ait le droit de choisir, avec plus ou moins de liberté, parmi les femmes de sa classe ; si bien qu’un certain degré d’amour peut être à la base du mariage et que, par bienséance, il est toujours supposé exister, comme il convient à l’hypocrisie protestante. Ici, l’hétaïrisme de l’homme s’exerce plus mollement, et l’adultère de la femme est moins souvent de règle. Pourtant, comme dans toutes les sortes de mariage, les êtres humains restent ce qu’ils étaient avant de se marier, et comme les bourgeois des pays protestants sont pour la plupart des philistins, cette monogamie protestante, dans la moyenne des meilleurs cas, n’apporte à la communauté conjugale qu’un pesant ennui qu’on désigne du nom de bonheur familial. Le meilleur miroir de ces deux méthodes de mariage est le roman : le roman français, pour la manière catholique ; le roman allemand, pour la manière protestante. Dans chacun de ces deux romans, « l’homme aura ce qui lui revient » : dans le roman allemand, le jeune homme aura la jeune fille ; dans le roman français, le mari aura les cornes. Il n’est pas toujours aisé de dire qui des deux est le plus mal loti. C’est pourquoi l’ennui du roman allemand inspire au bourgeois français une horreur égale à celle qu’inspire au philistin allemand l’« immoralité » du roman français. Mais ces temps derniers, depuis que «Berlin devient une capitale mondiale», le roman allemand commence à se corser un peu moins timidement