Page:Karl Marx et Friedrich Engels - Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/259

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établi le principe : l’hom­me n’est entièrement responsable de ses actes que s’il les a exécutés en pleine posses­sion de son libre arbitre, et c’est un devoir moral que de résister à toute contrainte poussant à une action immorale. Mais comment ce principe pouvait-il s’accommoder de la pratique usuelle jusqu’alors dans la conclusion du mariage ? D’après la conception bourgeoise, le ma­ria­ge était un contrat, une affaire juridique, et même la plus importante de toutes puisqu’elle disposait pour la vie du corps et de l’esprit de deux êtres humains. Dans les formes, il est vrai, cette affaire juridique était dès lors librement conclue : elle ne pouvait se régler sans le « oui » des intéressés. Mais on ne savait que trop bien comment s’obtenait ce « oui » et quels étaient les véritables auteurs du mariage. Et pourtant, si la liberté réelle de décision était exigée pour tous les autres contrats, pourquoi pas pour celui-ci ? Les deux jeunes gens qui devaient être accouplés n’avaient-il pas aussi le droit de disposer librement d’eux-mêmes, de leur corps et de ses organes ? L’amour sexuel n’avait-il pas été mis à la mode par la chevalerie, et, en face de l’amour chevaleresque adultère, l’amour conjugal n’était-il pas sa vraie forme bourgeoise ? Mais, si le devoir des époux est de s’aimer mutuellement, n’est-ce pas tout aussi bien le devoir des amants que de se marier ensemble et de n’épouser personne d’autre ? Le droit de ceux qui s’aiment n’était-il pas supérieur au droit des père et mère, de la parenté ou de quelque autre courtier ou entremetteur matrimonial traditionnel ? Si le droit de libre examen personnel faisait irruption sans se gêner dans l’Église et la religion, comment pouvait-il faire halte devant l’intolérable prétention de la vieille génération qui voulait dispo­ser du corps, de l’âme, de la fortune, du bonheur et du malheur de la génération plus jeune ?

Ces questions devaient forcément être soulevées à une époque qui desserra tous les vieux liens de la société et ébranla toutes les notions traditionnelles. D’un seul coup, le monde était devenu près de dix fois plus grand ; au lieu du quart d’un hémisphère, c’est le globe terrestre tout entier qui s’étendait maintenant à la vue des Européens occidentaux, qui s 1 empressèrent de prendre possession des sept autres quartiers. Et en même temps que les vieilles barrières étroites du pays natal, tombaient les entraves millénaires prescrites à la pensée du Moyen Age. Un horizon infiniment plus vaste s’ouvrait à l’œil physique