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Page:Karr - Contes et nouvelles, 1867.djvu/144

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CONTES ET NOUVELLES.

enfants, Anna et Conrad. Pas une seule maison ne paraissait si propre et si bien tenue ; pas une, avec un revenu borné, n’offrait un tel aspect d’aisance et de bonheur. Anna était l’idole de son père et de son frère ; ils l’appelaient leur bon ange, et elle avait, en effet, quelque chose des anges : son corps élancé et flexible, sa jolie tête un peu pâle, ses longs cheveux noirs appliqués en bandeaux sur son front, et ses yeux d’un bleu sombre pleins, de tendresse et de mélancolie, semblaient, par un instinct secret, faire pressentir qu’Anna Gulf, ange du ciel, n’avait été que prêtée à la terre, et qu’après avoir, comme une bienfaisante rosée, donné à tout ce qui l’entourait de la vie et du bonheur, elle déploierait ses ailes et retournerait dans sa céleste patrie, laissant au cœur de ceux qui l’avaient aimée cette amertume qui semble être un condition nécessaire de tout bonheur humain.

Henry, sans hésiter, vint prendre la main d’Anna, dont le cœur battait à peine, tant elle était oppressée de crainte et de plaisir ; Conrad fit résonner l’archet, joua une valse composée par Henry, et les valseurs partirent.