Page:Karr - Contes et nouvelles, 1867.djvu/159

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la même vie, mais désormais sans saveur, soit que cette saveur ait été absorbée, soit que le palais ait perdu sa subtilité ; ceux-là, rappelant amèrement leurs espérances, leurs croyances et leurs déceptions, croient pouvoir rire de ceux qui, plus jeunes, croient à la réalisation de leurs rêves et pensent que chaque besoin que Dieu a donné à l’homme renferme une promesse de la satisfaire.

Au commencement de la vie, on est entraîné par une pente irrésistible, mais douce encore, entre des rives vertes et ombragées ; l’air est parfumé par les fleurs semées dans l’herbe, et les oiseaux chantent aux bords, dans les oseraies. Ceux qui nous ont précédés, et que nous avons perdus de vue, n’ont plus sur les rives qu’une herbe jaune et brûlée, et marchent sur une eau fétide et presque stagnante, sans qu’aucun effort leur permette de retourner en arrière. Doivent-ils pour cela nous crier d’une voix lugubre :

— Ne vous livrez pas à ce plaisir qui charme vos sens, c’est une illusion, c’est une fantasmagorie ; tout à l’heure vous voudrez respirer le parfum d’une fleur, ou entendre jusqu’au bout