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BERTHE ET RODOLPHE.

nous serons séparés, à la fin du jour, heure des pensées graves, nous jouerons chacun notre partie, et cela nous rapprochera.

Berthe prit sa harpe, Rodolphe l’accompagna avec sa flûte, et ils jouèrent plusieurs fois l’air favori de Berthe. À la fin, ils se prirent à pleurer, et s’embrassèrent : Rodolphe partit.

Tous deux furent fidèles à leur promesse. Chaque soir, à l’heure où ils s’étaient vus pour la dernière fois, Berthe se mettait à sa harpe, Rodolphe prenait sa flûte, et ils jouaient chacun leur partie. Cette heure du soir est solennelle et mystérieuse, elle dispose invinciblement à la rêverie ; dans les vapeurs qui montent rougeâtres à l’horizon, il semble que l’on voit apparaître vivants et animés tous ses souvenirs, toutes ses journées, les unes riantes et couronnées de roses, les autres pâles et voilées d’un crêpe.

À cette heure, le dernier frémissement du vent dans les feuilles semble moduler les airs auxquels nous rattachons de doux et de tristes souvenirs : la musique est la voix de l’âme.

Rodolphe, par moments, s’arrêtait ; il lui semblait entendre se mêler aux sons de sa flûte les