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BERTHE ET RODOLPHE.

naturel ; il n’avait plus de vie que précisément de quoi sentir et souffrir.

Un ami, que le hasard ou une fatuité de constance lui avait conservé dans son malheur, s’alarma, et voulut savoir ce que Rodolphe faisait dans cette chambre. Il dit qu’il jouait de la flûte, et que l’ombre de Berthe jouait de la harpe ; que la mort était bien réellement le commencement d’une autre vie ; qu’à mesure qu’il se sentait mourir, il se sentait vivre plus intimement avec sa femme, qu’il avait tant aimée ; que, pendant cette mystérieuse harmonie qu’il entendait tous les soirs, il lui semblait voir Berthe à sa harpe ; qu’il se trouvait heureux, qu’il ne désirait rien de plus, et ne demandait rien de plus au ciel ni aux hommes.

C’était le troisième anniversaire de la naissance de Berthe. Rodolphe remplit encore la chambre de fleurs ; lui-même était paré d’un bouquet. Il avait jonché le lit de la morte de roses effeuillées.

Puis, au soleil couchant, il prit sa flûte et joua l’air de Berthe.

L’ami s’était caché derrière une draperie : il