Page:Karr - Contes et nouvelles, 1867.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
CONTES ET NOUVELLES.

voir qu’il a pour voisine la plus belle fille de Paris. Rose s’est piquée et a imaginé de jeter par la fenêtre, dans ses plates-bandes scrupuleusement sarclées, des boisseaux d’avoines et de chènevis, qui germent, poussent et font de son jardin le champ le plus sauvage et le plus inculte. Il y a un mois, elle a laissé tomber plein un carton de graines de pavots. Une poignée de ces graines en contient un peu plus de cinquante mille. Elle m’a appelé ce matin toute joyeuse, en me disant que les pavots commençaient à germer et à couvrir le sol de leur glauque feuillage. Elle a cru devoir y joindre aujourd’hui de la graine d’oignon et de la graine de carotte.

» Depuis quelques mois, tout pousse dans ce malheureux jardin, excepté ce qu’y met le propriétaire, qui ne soupçonne pas la cause d’une semblable fécondité. N’a-t-elle pas exigé, il y a quelques jours, qu’au risque de me faire tirer un coup de fusil par un jardinier, je descendisse la nuit chez le voisin, au moyen d’une échelle, et que j’allasse peindre capricieusement les caisses qui renferment ses grenadiers et ses lauriers-roses ? L’une a été peinte en noir et