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CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

camp au moment où les chasseurs commençaient leur dîner, demanda à voir le « Grand Prince ». Il fut amené tout de suite devant Vladimir, car en ces temps simples, tout homme qui désirait voir le roi pouvait lui parler ; et le Prince-Guerrier de Russie (qui détestait toute cérémonie et formalité) était le souverain le plus approché de ces temps.

Le nouveau venu mangea à la hâte une patte de gibier qu’on lui offrit (car il aurait été considéré de la plus grossière impolitesse de laisser quelque étranger raconter ses affaires, sans lui donner tout d’abord quelque chose à manger) et, se tournant vers Vladimir, l’homme parla :

— « Sois heureux, Vladimir Sviatoslavovitch (fils de Sviatoslav), rayon de soleil de la Russie ! Tes enfants du village de Volkovo m’envoient te dire qu’ils sont fortement troublés par un énorme ours noir. »

— « Un ours ! » répétèrent les chefs, la figure radieuse, « nous jouons de bonheur ! »

— « Il est bien plus gros que tous ceux que nous ayons jamais vu dans notre région », poursuivit l’homme, « et nous le reconnaissons bien, car il possède une étoile blanche sur le front et une autre sur la poitrine. Nous avons tenté souvent de le tuer, mais nous ne parvenons pas à lui faire le moindre mal, et nous croyons tous qu’il doit être enchanté ! »

À ce mot terrible la figure joyeuse des chasseurs s’obscurcit tout d’un coup car, quoique maintenant les Russes fussent nommément chrétiens, ils gardaient cependant en eux quelques-unes de leurs vieilles superstitions païennes dont la plus profondément enracinée était la foi en la magie.

— « C’est mauvais ! » s’écria quelqu’un, « et juste au moment où le grand sorcier chrétien, Sylvestre, est loin de nous. S’il était ici, il bénirait nos armes, prierait pour elles et alors, nous pourrions lutter ; mais que faire sans lui ? »

— « Tu crois ? » dit un autre, en remuant la tête. « Maintes fois, j’ai entendu mon père raconter que lorsque le Prince Igor guerroyait contre les Petcheneygans, il y avait dans leur armée un homme dont les flèches et les épées rebondissaient sur sa poitrine nue, comme la grêle rebondit sur un toit ; et le seul moyen de se débarrasser de lui, fut de l’abattre à coups de pierres énormes. »

Alors parla un jeune homme aux cheveux blonds qui, bien que enfant en comparaison des vieux guerriers placés autour de lui, était assis à droite de Vladimir lui-même. Il méritait bien cet honneur car ce n’était autre que Féodor, le meurtrier du géant tartare, Mamai.