Page:Ker - Cyril aux doigts-rouges ou le Prince Russe et l'Enfant Tartare, 1917.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
CYRIL AUX DOIGTS-ROUGES

Le bruit se répéta, et il perçut la cassure des rameaux gelés et le froissement des feuilles tombées, ce qui lui fit supposer que quelque être lourd forçait son chemin à travers les taillis. Le bruit approchait de plus en plus et à la fin, une énorme masse obscure s’échappa des buissons à quelques mètres seulement du Prince.

Vladimir porta le cor à ses lèvres et souffla de toutes ses forces. Comme la bête s’élevait sur ses pattes de derrière pour l’attaquer, il vit aux rayons de la lune — qui apparaissait juste au-dessus des pins noirs — une sorte d’étoile blanche sur le front large et bas de l’animal, et une autre sur sa poitrine velue. C’était l’Ours Enchanté !

Les coups que Vladimir frappa sur son ennemi, semblaient toucher du fer ; en effet tous ceux qui avaient attaqué la bête, savaient à leurs dépens que Michel (comme les paysans l’appelaient) était aussi difficile à tuer qu’un requin ou un octopus.[1] Le choc de l’arme rendit le monstre plus furieux et tout à coup son énorme patte s’abattit. Le combat aurait certainement été achevé si l’animal avait touché Vladimir, mais celui-ci, agilement, sauta de côté et en même temps enfonça la pointe de son épée dans le corps de son adversaire.

— « Son charme n’agit pas contre l’acier, toutefois, » s’écria le Prince, dans un rire sauvage.

Comme il disait ces mots, l’ours, exaspéré de sa blessure, saisit l’épée dans sa terrible mâchoire et la brisa comme un fétu de paille.

Désarmé, mais plus indomptable que jamais, le Russe se recula prudemment des griffes cruelles qui l’effleuraient et il banda son arc. La flèche partit et vint s’écraser sur la tête de l’animal ; celui-ci, étourdi, fut pour l’instant à la merci du Prince.

C’était le moment d’en finir en une fois. Vladimir s’élança en poussant un cri de triomphe et mit la main à sa ceinture pour en retirer son couteau de chasse. Celui-ci n’y était plus.

Comme il se tenait immobile, pétrifié de sa fatale découverte, la bête sauvage, indomptée, s’avança et se jeta, la gueule ouverte, sur le Prince des Russes.

Une minute de plus et c’en était fini de Vladimir — ce qui aurait changé peut-être, la future histoire de la Russie — lorsque, soudain, un bruit indéfini se fit entendre derrière lui. C’étaient des pas lourds, des clameurs rauques : une demi-douzaine d’épées reluirent sous les rayons de la lune, et l’Ours Enchanté s’affaissa lourdement, percé de part en part en plein cœur.

— « Son charme n’existe plus », dit le jeune Féodor qui se trouvait

  1. Nom scientifique des poulpes.