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LE VENT ET LES FEUILLES MORTES


Aux hêtres qui, de leurs grands bras de marbre, étalent
Un feuillage d’airain, plein de sang et de râles ;

Aux sapins qui, figés dans leur verdure sombre,
Sifflent comme les mâts d’un navire qui sombre ;
 
Songe, songe, ô mon cœur, à ces Titans qui sont
Fiancés au vertige et rivés à l’affront ;
Songe aux géants feuillus, premiers-nés de la Terre,
Qui, sous le poids d’un sourd et tragique mystère,
Révent obscurément en grelottant de peur ;
Songe qu’ils vivent dans une morne stupeur,
Que jamais leur ennui lugubre n’appareille
Vers un destin nouveau, que leur souffrance veille
Quand la tienne en la paix des douces nuits s’endort,
Qu’ils ont connu cent fois les affres de la Mort,
Et que, quand on croirait leurs misères finies,
Ils renaissent pour de nouvelles agonies ;
Songe qu’ils sont là-bas, sans nombre, dans les bois,
Et que, tordus, hagards, ils clament, d’une voix
Dont le sanglot ressemble au tonnerre qui gronde,
L’immortelle Douleur qui saigne au cœur du monde !


1903.