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LES JUIFS DE SHESHUAN




LE mobilier que je venais d’acheter manquait à tout le moins de solidité ; les chaises perdaient leurs pieds, et les tables leurs dessus, sous le moindre prétexte. Mais tel qu’il était il me fallait le payer, et Éphraïm, agent receveur du commissaire-priseur de l’endroit, attendait avec le reçu dans la véranda. Il me fut annoncé par le domestique mahométan sous le nom de « Éphraïm Youdi » (Éphraïm le Juif). Ceux qui croient en la fraternité humaine auraient dû entendre mon Elahi Bukhsh faire grincer le second mot entre ses dents blanches avec tout le mépris qu’il ose montrer devant son maître. Éphraïm était, quant à lui, doux d’aspect — si doux, même, que l’on ne comprenait pas comment il était tombé dans la profession de receveur de traites. Il ressemblait à un bélier trop bien nourri, et son ton répondait à son apparence. Il y avait sur son visage un masque fixe et stéréotypé d’étonnement puéril. Si on le payait, on eût dit qu’il s’émerveillait de votre richesse ; si on le renvoyait il semblait intrigué de votre dureté de cœur. Jamais Juif ne ressembla moins à sa race redoutée.