Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

témoin qu’il n’y a d’autre Dieu que Dieu. » Quel cri splendide que cette proclamation de foi tire les hommes de leurs lits par vingtaines à minuit ! Une fois encore le muezzin jette en tonnerre la même phrase, secoué par la véhémence de sa propre voix ; et puis, loin et près, l’air nocturne retentit du « Mahomet est le prophète de Dieu ». C’est comme s’il lançait son défi à l’horizon lointain, où les éclairs d’été se jouent et bondissent comme une épée au clair. Tous les muezzins de la cité appellent à qui mieux mieux, sur les terrasses des maisons des hommes commencent à s’agenouiller. Une longue pause précède le dernier cri : « La ilaha Illalah », et le silence s’abat par là-dessus, comme le coup de bélier sur la tête d’une balle de coton.

Le muezzin descend à tâtons l’escalier obscur en marmonnant dans sa barbe. Il passe sous l’arcade de l’entrée et disparaît. Puis le silence asphyxiant se rétablit sur la Cité de l’Épouvantable Nuit. Sur le minaret les vautours se rendorment, ronflant de plus belle, la brise brûlante arrive par bouffées et par tourbillons paresseux, et la lune s’abaisse vers l’horizon. Assis avec les deux coudes sur le parapet de la tour, on peut considérer indéfiniment jusqu’à l’aube cette ruche torturée de chaleur et se demander : « Comment font-ils pour vivre là en bas ? À quoi pensent-ils ? Quand vont-ils s’éveiller ? » Encore des ruissellements de pots d’eau qu’on déverse ; légers craquements de couchettes de bois que l’on traîne dans l’ombre ou que l’on en sort ; musique lugubre d’instruments à cordes atténuée par la