Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/165

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— Avec tout cela, je voudrais que nous en ayons un peu plus comme eux. J’aime un régiment bien encadré, mais ces jeunes cafards qui nous arrivent du dépôt avec leurs faces de carême, leurs yeux fuyants et leurs voix mielleuses, m’assomment parfois de leur vertu agressive. On les croirait invertébrés dès qu’il s’agit de faire autre chose que jouer aux cartes et rôder autour du quartier des ménages. Je crois que je pardonnerais sur-le-champ à ce vieux sacripant s’il se présentait avec une explication que je puisse décemment accepter.

— Peu probable qu’il y ait grande difficulté là-dessus, mon colonel, dit l’adjudant-major. Les explications de Mulvaney sont à peine d’un cran moins étonnantes que ses exploits. Il paraît que quand il était dans le Tyrone Noir, avant de nous arriver, on l’a surpris sur les bords de la Liffey en train d’essayer de vendre le cheval de bataille de son colonel à un maquignon de Donegal comme une parfaite monture de louage pour dame. C’était M. Shakbolt qui commandait alors le Tyrone.

— Shakbolt a sûrement attrapé une attaque d’apoplexie à l’idée que ses fougueux chevaux de guerre pouvaient correspondre à ce signalement. Il n’achetait jamais que des démons indomptés et il les matait en les privant de nourriture. Qu’est-ce que Mulvaney a dit ?

— Qu’il était membre de la Société protectrice des animaux, et qu’il désirait vendre « cette pauvre bête-là où elle aurait quelque chose pour se remplir les boyaux ». M. Shakbolt a ri, mais j’imagine que