Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/167

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lieu de tout ça. Il a bien raison. Si je n’étais pas aussi triste je danserais aussi.

À la face de la lune un prodige se dandinait… un esprit de la lande, hirsute et de haute taille, s’approchait en battant des ailes. Il était comme sorti de terre ; il s’avançait vers nous, et sa silhouette n’était pas deux fois la même. La draperie, toge, nappe ou robe de chambre, qui revêtait cet être, prenait cent formes diverses. Une fois il s’arrêta sur un tertre voisin et cabriola, jambes et bras aux quatre vents.

— Beuh ! cet épouvantail en a de mauvaises, dit Ortheris. S’il approche encore un peu nous aurons sans doute à discuter avec lui.

Learoyd se releva de terre comme un taureau dégage ses flancs après s’être vautré. Et tel mugit un taureau, de même lui, après un court instant d’examen, il donna de la voix sous les étoiles.

— Mulvaney ! Mulvaney ! Hohé !

Alors nous hurlâmes tous ensemble. La forme plongea dans le creux, et finalement, dans un frémissement d’herbe qui se déchire, notre ami perdu s’avança à la lueur du feu, et disparut jusqu’à la ceinture dans un flot de chiens en joie. Puis Learoyd et Ortheris, unissant leurs voix de basse et de fausset, lui donnèrent la bienvenue.

— Espèce de sacré idiot ! dirent-ils.

Et chacun de son côté ils le martelèrent à coups de poings.

— Allez doucement ! répondit-il, les enveloppant chacun d’un de ses robustes bras. Je dois vous faire