Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/69

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d’Orde sahib, où il y avait des piécettes de cuivre à gagner simplement parce qu’on les désirait, et où ils entendaient des histoires des plus authentiques, telles que même leurs mères n’en savaient pas la première moitié. Mais non ! Ce gros homme noir-ci ne saurait jamais leur raconter comment Pir Prith arracha les dents canines à dix diables ; comment les grosses pierres sont venues se mettre toutes en rang sur le haut des monts Khusru, et ce qu’il arriverait si on criait le soir au loup gris par la porte du village : « Badl Khas est mort ! » Cependant Grish Chunder Dé parlait vite et beaucoup à Tallantire, à la façon de ceux qui sont « plus Anglais que les Anglais » — s’entretenant d’Oxford et du « pays » et montrant une connaissance livresque approfondie des soupers épatants, des parties de cricket, des chasses à courre et autres sports profanes des étrangers.

— Il nous faudra prendre ces gens-là en main, dit-il une fois ou deux avec inquiétude, les prendre bien en main, et leur tenir la bride serrée. Inutile, voyez-vous, d’être coulant dans votre district.

Et un instant Tallantire entendit Debendra Nath Dé, qui en bon frère avait suivi le sort de son parent et comptait bénéficier de sa protection dans son métier d’avocat, chuchoter en bengali :

— Mieux vaut du poisson sec à Dacca que des sabres nus à Delhi. Mon frère, ces hommes sont des démons, comme le disait notre mère. Et il te faudra prendre soin de toujours aller à cheval !

Ce soir-là il y eut une audience publique dans une