Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/74

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le sac de Delhi eût à peine justifiées. À chacune des autorités susceptibles de fournir une baïonnette ou de déplacer un fonctionnaire terrifié, Grish Chunder Dé lança un appel télégraphique. Il était seul, disait-il, ses auxiliaires avaient fui, et en réalité il n’avait pas pris possession du district. Ses télégrammes eussent-ils été envoyés, qu’il s’en serait suivi beaucoup de choses ; mais comme l’unique opérateur de Jumala s’était allé coucher, et que le chef de gare, après un coup d’œil à la redoutable pile de papier, découvrit que les règlements du chemin de fer interdisaient la transmission de messages impérieux, les gendarmes Ram Dingh et Nihal Singh se virent contraints de transformer ladite Masse en un oreiller et de dormir dessus très confortablement.

Tallantire enfonça ses éperons dans le ventre d’un pétulant étalon pie aux yeux de porcelaine bleue et se prépara au trajet de soixante-dix kilomètres jusqu’au fort Ziar. Connaissant son district les yeux fermés, il ne perdit pas de temps à chercher des raccourcis, mais piquant tout droit à travers les meilleurs pâturages, se dirigea vers le gué où Orde était mort et avait été enterré. Le sol poudreux étouffait le bruit des sabots de son cheval, la lune projetait devant lui son ombre, lutin infatigable, et la rosée dense le trempait jusqu’à la peau. Monticule, brousse qui frôlait le ventre du cheval, route non empierrée où les minces rameaux des tamaris cinglaient son front, étendues indéfinies de plaine coupée d’ondulations et jonchée de bétail sommeillant, brousse et de nouveau monticule, défilèrent,