Page:Kipling - Au hasard de la vie, trad. Varlet, 1928.djvu/96

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soupir — presque un gémissement — s’échappa de sa poitrine, et il retourna à la chaufferie. Les lascars reprirent leur conversation là où ils l’avaient interrompue. Ils parlaient des meilleurs procédés de cuire le riz.

Durant le trajet jusqu’à Bombay, Nurkîd souffrit du manque d’air frais. Il ne venait sur le pont respirer que quand tout le monde était à son poste ; et malgré cela il arriva une fois qu’une lourde poulie se détacha d’un palan et s’abattit à trente centimètres de sa tête, et qu’un caillebotis en apparence bien amarré sur lequel il posa le pied se mit à faire demi-tour dans l’intention de l’envoyer sur la cargaison arrimée à cinq mètres plus bas ; et une nuit de chaleur intolérable le coutelas s’abattit du gaillard d’avant, et cette fois lui tira du sang. Nurkîd porta donc plainte ; et quand le Saarbruck atteignit Bombay, il prit la fuite, se cacha parmi les huit cent mille habitants, et attendit pour signer un nouvel engagement que le navire eût quitté le port depuis un mois. Pambé attendit également ; mais sa femme de Bombay commençait à lui faire des scènes, et comprenant qu’à toujours s’amuser sans rien faire, un mathurin en est vite réduit à n’avoir plus qu’une chemise en lambeaux, il fut forcé de s’engager sur le Spicheren, qui allait à Hong-Kong. Dans les brumeuses mers de Chine il pensa beaucoup à Nurkîd, et quand il y avait en relâche dans le port avec le Spicheren des steamers de l’Elsass-Lothringen, il demandait après lui. Il finit par apprendre que Nurkîd était parti pour l’Angleterre via le