Page:Kipling - Le Livre de la jungle, illustré par de Becque.djvu/118

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— Oh ! le fou, le fou ! Quel triple enfant cela fait !… Mangé et bu ! Et il se figure que je vais attendre qu’il ait dormi !… À présent, où est-il couché, là-haut ? Si nous étions seulement dix d’entre nous, nous pourrions en venir à bout tandis qu’il est couché. Mais ces buffles ne chargeront pas sans l’avoir éventé, et je ne sais pas leur langage. Pouvons-nous le tourner et trouver sa piste en arrière, de façon qu’ils puissent la flairer ?

— Il a descendu la Waingunga à la nage, de très loin en amont, pour couper la voie, dit Frère Gris.

— C’est Tabaqui, j’en suis sûr, qui lui aura donné l’idée ! Il n’aurait jamais inventé cela tout seul.

Mowgli se tenait pensif, un doigt dans la bouche :

— Le grand ravin de la Waingunga. Il débouche sur la plaine à moins d’un demi-mille d’ici. Je peux tourner à travers la jungle, mener le troupeau jusqu’à l’entrée du ravin, et alors, en redescendant, balayer tout — mais il s’échappera par l’autre bout. Il nous faut boucher cette issue. Frère Gris, peux-tu me rendre le service de couper le troupeau en deux ?

— Pas tout seul — peut-être — mais j’ai amené du renfort, quelqu’un de rusé.

Frère Gris s’éloigna au trot et se laissa tomber dans un trou. Alors, de ce trou, se leva une énorme tête grise que Mowgli reconnut bien, et l’air chaud se remplit du cri le plus désolé de la jungle — le hurlement de chasse d’un loup en plein midi.

— Akela ! Akela ! dit Mowgli en battant des mains. J’aurais dû savoir que tu ne m’oublierais pas. Nous avons de la besogne sur les bras ! Coupe le troupeau en deux, Akela. Retiens les vaches et les veaux d’une part, et les taureaux de l’autre avec les buffles de labour.

Les deux loups traversèrent en courant, de-ci, de-là,