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le second livre de la jungle

tiné, parmi le silence et l’espace. Alors, le temps s’arrêta, et le solitaire, assis au seuil du temple, n’aurait pu dire s’il était vivant ou mort, homme maître de ses membres, ou partie de la substance des montagnes, des nuages, de la pluie capricieuse, et de la clarté du jour. Il allait se répétant doucement à lui-même un Nom des centaines de centaines de fois, jusqu’à ce qu’il semblât, à chaque répétition, s’évader davantage de son corps, dans une ascension continuelle jusqu’au seuil de quelque révélation prodigieuse ; mais, juste au moment où la porte s’ouvrait, son corps le ramenait à la terre et il éprouvait la douleur de se sentir verrouillé de nouveau dans la chair et les os de Purun Bhagat.

Chaque matin, on déposait en silence l’écuelle remplie entre la fourche des racines, à l’extérieur du temple. Parfois, le prêtre l’apportait ; parfois un marchand Ladaki, logeant au village et désireux de s’acquérir des mérites, montait pesamment le sentier ; mais, le plus souvent, c’était la femme qui avait préparé le repas la nuit précédente, et elle murmurait d’une voix comme un souffle : « Parle pour moi devant les dieux, Bhagat. Parle pour une telle, femme d’un tel ! » De temps en temps on confiait cet honneur à quelque enfant plus hardi