Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épaules, qui a encore ses mains au bout de ses poignets, qui m’a procuré le déshonneur, qui a fait de mon nom une risée parmi les femmes de Petit Malikand.

Au bout de deux mois je me rendis en Hindoustan — à Chérat. Je ne restai parti que douze jours ; mais j’avais dit que je serais absent une quinzaine. Je fis cela pour éprouver ma femme, car il est écrit : « Ne donne pas ta confiance à qui ne la mérite pas. » En remontant la gorge seul à la tombée de la nuit j’entendis une voix d’homme qui chantait sur le seuil de ma maison ; et c’était la voix de Daoud Shah, et la chanson était celle qui se nomme ; « Dray wara yow dee. » — « Tous les trois ne font qu’un. » Il me sembla qu’un nœud coulant venait d’enlacer mon cœur et que tous les diables tiraient dessus pour le serrer insupportablement. Je montai en silence le sentier de la montagne, mais la pluie avait mouillé le bassinet de mon fusil à mèche, et je ne pouvais tuer Daoud Shah à distance. D’ailleurs c’était mon intention de tuer la femme aussi. Il chantait donc, assis devant ma maison, et voilà que la femme ouvrit la porte, et je m’approchai, rampant à plat ventre parmi les rochers. Je n’avais que mon couteau à la main. Mais une pierre déroula sous mon pied, et tous deux regardèrent vers le bas de la pente, et lui, abandonnant son fusil à