Page:Kipling - Trois Troupiers et autres histoires, trad. Varlet, 1926.djvu/51

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chef. Je voulais être sergent. Il n’y avait rien que je ne voulais pas être. Sainte Mère du Ciel, regardez-moi ! Qu’est-ce que je suis à présent ?

« Nous étions cantonnés dans une grande garnison… ce n’est pas la peine de dire les noms, car cela pourrait donner mauvaise réputation à la caserne… et dans mon idée à moi j’étais empereur du monde, et une ou deux femmes pensaient de même. On ne peut guère le leur reprocher. Nous étions là depuis un an, lorsque Bragin, le sergent-major de la compagnie E, vint à prendre femme. C’était la femme de chambre d’une grande dame de la garnison. Elle est morte maintenant, Annie Bragin… il y a de cela sept… neuf ans, et Bragin est remarié. Mais quand Bragin la présenta à la société du cantonnement, c’était une jolie femme. Elle avait des yeux du même brun que l’aile d’un papillon quand le soleil donne dessus, et une taille pas plus grosse que mon bras, et pour obtenir un baiser de sa gentille petite bouche rose, j’aurais traversé toute l’Asie hérissée de baïonnettes. Et ses cheveux étaient aussi longs que la queue du cheval de bataille du colonel, — excusez ma liberté de citer cette bête et Annie Bragin dans la même phrase, — mais ils étaient tissus d’or et il y eut un temps où j’aurais préféré à des diamants une boucle de ces cheveux-là. Aucune jolie femme, à ma connaissance, et j’en ai rencontré