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le chien d’or

III.

— Je connais la galanterie du chevalier de La Corne, remarqua Pierre, elle est incontestable. Un jour que nous avions capturé tout un convoi de femmes de la Nouvelle-Angleterre, il les fit escorter au son du tambour, jusqu’à Grand Pré, et il leur envoya un fût de vin de Gascogne, pour qu’elles pussent fêter mieux leur réunion avec leurs maris.

— Bah ! ces vilaines grues ! Ça n’était rien de drôle ! exclama de La Corne ; elles étaient dignes de leurs chenapans de maris.

— Ce n’était pas l’opinion de ces soldats, répondit Philibert, car ils fêtèrent pendant trois jours leur heureux retour. Au reste, il y avait là des femmes de qualité. Et puis, les santés que ces gens-là burent en votre honneur auraient suffi pour vous immortaliser.

La Corne renvoyait toujours les compliments qu’on lui faisait.

— Tut ! tut ! tut ! mesdames ! fit-il, tout cela est dû à la générosité de Pierre ! Par pure bonté de cœur, il insista pour que ces femmes fussent rendues à leurs maris.

Pour moi, c’était un stratagème de guerre, une idée politique, que cette apparente générosité. Écoutez bien ; suivez mon raisonnement : Je voulais la perte des hommes, et elle arriva comme je l’avais prévue. Ils sortirent trop tard à la réveillée, rentrèrent trop tôt le soir ; ils négligèrent les gardes et les piquets ; puis quand vinrent les longues nuits de l’hiver, ils restèrent à côté de leurs femmes, au lieu d’être avec leurs mousquets, près du feu du bivouac. Alors sonna pour eux l’heure de la destruction. Pendant une tempête horrible, au milieu des tourbillons de neige et dans l’obscurité profonde, Coulon de Villiers marcha avec ses troupes sur leur camp et fit veuves la plupart de ces malheureuses femmes. Elles tombèrent pour la seconde fois entre nos mains. Pauvres créatures ! J’ai vu, ce jour-là, quelle