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LE CHIEN D’OR

Bigot aurait été très heureux de s’enrichir lui-même et d’enrichir ses amis. Il se serait fort peu occupé des clameurs des courtisans jaloux ou indignés.

Il se doutait bien que sa politique pouvait ruiner la colonie, compromettre même la royauté, mais il se consolait en pensant qu’il n’y pouvait rien. Il n’était qu’une maille dans une vaste chaîne de corruption.

Laissé à lui-même, il devenait impuissant. Ceux qui étaient avant lui l’entraînaient et il entraînait les autres. Il ne cherchait pas à débrouiller la question de morale.

Il obéissait aveuglément à ses maîtres — à ses maîtresses plutôt — mais commençait par se bien servir.

Il savait bien à quelle épreuve serait soumis son génie inventif, si le monopole qu’il avait établi pour mieux piller la province était tout à coup aboli.

Il ne craignait pas cependant, parce qu’il ne connaissait point le scrupule. Il n’était pas homme à trembler devant l’orage. II retombait toujours sur les pieds, comme il disait.

III.

Bigot s’arrêta. Une pensée le frappait. Il se tourna vers son secrétaire, le regarda fixement :

— De Péan, dit-il, nous ne sommes pas sûrs du chevalier de Repentigny. Il ne joue pas franc jeu avec nous. Un homme qui dîne avec moi et soupe avec Philibert, au Chien d’Or, ne saurait être au-dessus du soupçon. Dans la grande compagnie, on ne connaît pas cette sorte d’associés.

— Je n’ai pas non plus une grande confiance en lui, répondit De Péan ; entouré comme il l’est par la gente respectable, il peut trahir notre jeu.

— C’est cela. Vous ne l’avez, vous tous, bridé qu’à demi. Ne vous vantez pas de votre œuvre.

Avec quelle impudence ce matamore de Philibert l’a enlevé de Beaumanoir ! Une impudence sublime ! Ha ! ha ! C’était parfait !…