Aller au contenu

Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
le chien d’or

vous donne ma bénédiction par-dessus le marché, mais à la condition que vous envoyiez du sel au couvent pour que nous puissions, nous, conserver notre poisson, et vous, sauver votre réputation, qui se trouve joliment compromise aujourd’hui parmi mes bons Récollets.

Un rire général accueillit cette saillie, et le jovial supérieur rejoignit le gouverneur qui se trouvait plus loin sur les fortifications.


    — Mais, dit le lecteur, les chiens de votre temps étaient donc des prodiges d’intelligence ?

    Ils n’en avaient pourtant guère plus que l’écureuil sortant de la vie peu civilisée des forêts et que l’on enferme dans une cage ronde de fil de fer, que le gentil animal se dépêche de faire tourner, tourner, pour en sortir au plus vite, quoiqu’il ne soit pas plus avancé à la fin de la journée que le matin, croyant, néanmoins, avoir fait beaucoup de chemin. Comprenez-vous maintenant ? On enfermait le chien dans un rouleau semblable : le chien n’avait pas comme l’écureuil un lieu de retraite pour se reposer, il lui fallait courir sans cesse stimulé par la chaleur, par l’odeur des viandes et par l’espoir de la liberté. La langue finissait par lui pendre de la longueur d’un demi pied hors de la gueule ; n’importe ! point de compassion pour la pauvre bête : — tourne, capuchon, (nom obligé d’un chien de Récollet) tourne, mon gars ; tu auras ton dîner quand tu l’auras gagné et de l’eau à discrétion.

    Mais capuchon avait souvent la finesse de s’évader vers l’heure où sa présence aurait été la plus requise, soit en passant entre les jambes du portier, quand il ouvrait la porte du couvent, ou par la négligence du jardinier. Il s’agissait alors de lui trouver un substitut ; la chose n’était pas si difficile que l’on serait porté à le croire. Un chien de grosseur convenable passait-il dans la rue, on l’affriandait avec un morceau de viande, et une fois dans les limites du couvent, un bras nerveux l’empoignait par-dessus le cou, le poussait dans la cage et fermait le crochet. Le nouveau conscrit faisait des efforts désespérés pour respirer l’air pur de la liberté. Le frère Ambroise criait en se pâmant d’aise : « hardiment, bourgeois ! tu fais des merveilles ! tu auras un bon morceau de rôti pour récompense ! »

    Les récollets prisaient beaucoup les chiens d’autrui, mais ceux-ci ne les aimaient guère, si l’on en peut juger par les écarts, les longs détours, que la plupart faisaient en passant vis-à-vis du couvent qu’ils regardaient d’un air inquiet, ou en aboyant avec fureur, s’ils apercevaient un capuchon : à ces signes on pouvait dire, sans se tromper, qu’ils avaient tourné la broche des bons frères. »