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Page:Kirby - Le chien d'or, tome I, trad LeMay, 1884.djvu/430

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le chien d’or

le miel coulait de ses lèvres. Les autres jeunes filles lui portaient envie ; c’était visible. Toutefois cette admiration ne revêtait pas le caractère étrange et sauvage de l’amour qu’elle avait inspiré à tant d’autres, et elle pressentait qu’il ne deviendrait jamais fou d’elle, cet Intendant volage, tout fasciné qu’il parut être.

Pourquoi ? pourquoi ?

Elle se fit souvent cette question tandis qu’il lui roucoulait des paroles de douceur ; et le doute torturait son âme.

Pendant qu’elle se promenait appuyée à son bras, sous le feu des lustres et sous les regards brûlants des jalouses filles ou des galants évincés, radieuse, gaie, parleuse, en apparence, elle éprouvait intérieurement de cuisants regrets, des déchirements cruels. Elle se rappelait Le Gardeur, comme divinement transfiguré par l’amour, et prêt à tous les sacrifices ; Le Gardeur qu’elle avait repoussé, dans sa voluptueuse ambition, pour se jeter dans les bras de cet autre homme égoïste qui se moquait de toutes les femmes et les rejetait comme un jouet brisé…

Elle ne retiendrait pas plus Bigot, dans ses mailles de soie, que l’araignée ne tient l’oiseau dans la toile légère qu’elle a tendue, un matin d’été, d’un buisson à l’autre.

Et puis, Le Gardeur ne devrait-il pas être là, parmi ses adorateurs ? Quand a-t-elle souffert qu’il manquât un dévot à son culte, dans ces grandes fêtes mondaines où il faut écraser ses rivales ?

VI.

— Pourquoi, se demandait-elle toujours, pourquoi ne puis-je mettre Bigot à mes genoux comme j’en ai mis tant d’autres ?

Et de son pied finement chaussé de satin, elle froissait le parquet. Une réponse, toujours la même, venait alors à son esprit.

— Le cœur de l’Intendant est à Beaumanoir !…

— Cette pleurnicheuse figure de cire se dresse