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Page:Kleist - Kotzebue - Lessing - Trois comedies allemandes.djvu/8

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INTRODUCTION


Gœthe avoue qu’en présence de Kleist il ressentait cet effroi particulier qu’inspire un être que la nature a doué incomparablement, mais qui, victime d’un mal secret et incurable, ne réalise jamais sa vraie fin. Kleist lui-même compare sa tête à une urne de loterie où mille numéros mauvais se trouvent à côté d’un numéro gagnant. En fait, c’est une des personnalités les plus « inquiétantes » qui soient, une nature vraiment « problématique ». Ambitions insatiables et toujours insatisfaites, recherche passionnée du nouveau, défaut d’équilibre, mélange singulier de faiblesse et de présomption, les éléments les plus divers se mêlent dans sa vie comme dans son œuvre.

Né à Francfort-sur-l’Oder (1777), dans une famille qui appartenait à la vieille noblesse poméranienne, il entre à quinze ans dans les gardes prussiennes et fait campagne en 1794. Puis il abandonne le métier militaire qui le dégoûte, s’adonne aux études philosophiques et, tourmenté par ses espérances vagues et illimitées, ne sait où prendre racine. En 1801, il part pour Paris, s’y pose en Rousseau critique et contempteur d’une civilisation artificielle, passe quelque temps à Berne avec des amis, puis revient en Allemagne. Poursuivi par son démon, il oscille entre le rêve de faire plus grand que Gœthe ou d’être le Shakespeare de l’Allemagne et la pensée de se suicider en compagnie d’un ami. Il fait de nouveaux voyages, revient à Berlin où il écrit ses premières œuvres, se fait arrêter comme espion en 1806, passe six mois comme prisonnier en France, s’établit à Dresde où il assiste, impuissant, à l’insuccès de ses tentatives littéraires et à l’écrasement de sa patrie, accuse vainement Napoléon d’être l’auteur de ses malheurs, et, peu après la bataille de Wagram qui ruina définitivement ses