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ROSA BONHEUR

décidai cependant à lui faire connaître le désir de M. Arbuckle et ses titres à le manifester. La réponse de Rosa Bonheur ne tarda guère : elle était adressée à mon compatriote et ainsi conçue :

By, 27 septembre 1889.
Monsieur,

Je serai très heureuse de vous recevoir samedi prochain, si vous le pouvez, qui sera le 5 octobre…

J’espère que cela ne vous contrarie pas, que, précisément, je viens de donner deux de mes chevaux mustangs au colonel Cody. Le vôtre était si sauvage ! Il ne pouvait plus me servir. Deux cow-boys doivent venir les prendre lundi au lasso.

Je n’ose pas vous inviter à venir déjeuner avec moi, car je mène une vie très simple ; mais si vous voulez bien accepter des œufs frais, je serai très heureuse de vous recevoir de mon mieux. Je vous demanderai de me prévenir d’avance du jour.

Il est entendu que je comprends dans mon invitation votre aimable traductrice.

Je serais bien contente que vous me donniez des sujets de la vie des chevaux, ce qui peut me servir beaucoup pour des compositions.

Recevez, etc.

R. Bonheur.


Le jour indiqué, M. Arbuckle et moi nous arrivâmes à By. Au moment où le cocher qui nous conduisait s’apprêtait à descendre de son siège pour sonner à la porte, la grille s’ouvrit à deux battants. Sur le perron de l’habitation, nous aperçûmes un personnage de petite taille, vêtu d’un pantalon et d’une blouse comme en ont les paysans, et qui portait sur le bras un chien blanc et noir. Il fit avancer la voiture jusqu’au bas des marches, et de l’air le plus affable s’approcha en nous tendant les mains. C’était Rosa Bonheur.

De cette première rencontre avec la grande artiste dont, jusque-là, je n’avais connu que le talent, et qui devait me témoigner plus tard une si touchante amitié, j’ai gardé la plus inoubliable des impressions.

Rosa Bonheur était fort bien proportionnée, ce qui la faisait paraître de grandeur moyenne, bien qu’en réalité elle fût petite. Sous un front haut et large, creusé entre les deux sourcils du sillon très caractéristique des penseurs, ses yeux noirs avaient gardé la vivacité extraordinaire de la jeunesse. Le nez était petit, les narines bien dessinées, la lèvre supérieure mince et d’une jolie courbure ; sur la lèvre inférieure, plus développée et d’une mobilité extraordinaire, se trahissaient les divers états de son esprit et les sensations qui l’impressionnaient. Le visage était