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aussi dans les conditions physiologiques des émotions qui se traduisent par une sensation voluptueuse, on a constaté par contre toute une série de cas pathologiques de forme semblable, et on a vu, sous l’impulsion puissante du fétichisme des cheveux, des individus se laisser entraîner à commettre des délits. C’est le groupe des coupeurs de nattes[1].


OBSERVATION 78. – Un coupeur de nattes, P…, quarante ans, ouvrier serrurier, célibataire, né d’un père temporairement frappé d’aliénation mentale et d’une mère très nerveuse. Il s’est bien développé dans son enfance, était intelligent, mais de bonne heure, il fut atteint de tics et d’obsessions. Il ne s’est jamais masturbé ; il aimait platoniquement, avait souvent des projets de mariage, ne coïtait que rarement avec des prostituées, mais ne se sentait jamais satisfait dans ses rapports avec ces dernières : au contraire, il en éprouvait plutôt du dégoût. Il y a trois ans, il eut de gros malheurs (ruine financière) ; en outre, il traversa une affection fébrile, aggravée par des accès de délire. Ces épreuves ont gravement atteint le système nerveux central du malade qui, du reste, est chargé héréditairement. Le soir du 28 août 1889, P… a été arrêté en flagrant délit, place du Trocadéro, à Paris, au moment où, dans la foule, il avait coupé la natte d’une jeune fille. On l’arrêta la natte en main, et une paire de ciseaux en poche. Il allégua un trouble momentané des sens, une passion funeste et indomptable, et il avoua avoir déjà coupé à dix reprises des nattes qu’il gardait chez lui et qu’il contemplait de temps en temps avec délices.

Dans la perquisition à son domicile, on trouva chez lui 65 nattes et queues assorties et mises en paquets. Déjà, le 15 décembre 1886, P… avait été arrêté une fois dans des circonstances analogues, mais on l’avait relâché, faute de preuves suffisantes.

P… déclare que, depuis trois ans, il se sent anxieux, ému et pris de vertige toutes les fois qu’il reste le soir seul dans sa

  1. Moll (op. cit.) rapporte : « Le nommé X… est très excité sexuellement toutes les fois qu’il aperçoit une femme avec une natte ; des cheveux tombant librement ne sauraient produire sur lui la même impression, fussent-ils des plus beaux. »

    Il n’est pas juste, toutefois, de prendre pour des fétichistes tous les coupeurs de nattes ; car, dans certains cas, l’âpreté au gain matériel est le mobile ; la natte est une marchandise et non pas un fétiche.