Page:Krafft-Ebing - Psychopathia Sexualis, Carré, 1895.djvu/582

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formes plantureuses. Les boucles d’oreilles étincelantes, le collier avec le médaillon autour du cou, les épaules et les bras pleins et arrondis ne laissent aucun doute sur son authenticité jusqu’à ce que, avec un mouvement brusque, elle se détache du bras qui la tient et en bâillant dise d’une voix du plus bas creux : « Émile tu es aujourd’hui trop ennuyeux. » Le professeur en croit à peine ses yeux : la ballerine aussi est du sexe masculin !

Plein de méfiance nous continuons notre examen. Nous sommes près de supposer qu’ici on joue « au monde renversé », car voilà que nous voyons marcher ou plutôt trottiner un homme, – non décidément cela n’en est pas un, bien qu’il porte une petite moustache bien soignée. Ces cheveux bouclés et bien soignés, cette figure maquillée et poudrée, avec des sourcils fortement dessinés à l’encre de Chine, ces boucles d’oreilles d’or, ce bouquet de fleurs qui couvre la partie comprise entre l’épaule gauche et la poitrine et qui orne l’élégant smocking noir, ces bracelets d’or aux poignets et cet éventail élégant à la main gantée de blanc : ce ne sont point les attributs d’un homme. Et avec quelle coquetterie il manie son éventail, comme il se dandine et se tourne, comme il trottine et chuchotte ! Et pourtant ! Et pourtant la nature si bonne a créé homme cette poupée ! Il est vendeur dans une maison de confection de notre capitale, et la ballerine que nous venions de voir à l’instant est son « collègue ».

Là bas, à une table de coin, on semble tenir grand cercle. Plusieurs messieurs d’un âge mûr se pressent autour d’un groupe de dames fort décolletées qui sont assises devant des bouteilles de vin et qui, à en juger par leur hilarité bruyante, ne lancent pas des plaisanteries très discrètes. Qui sont ces trois dames ? « Dames », dit en souriant mon guide expérimenté ; celle à droite, aux cheveux bruns et en costume de fantaisie à demi-long, c’est la « marchande de beurre », de son métier garçon coiffeur ; la seconde, la blonde, en costume de chanteuse de café-concert, avec un collier de perles, est ici connue sous le nom de « Miss Ella sur la Corde », de son métier un ouvrier tailleur pour dames ; la troisième c’est la fameuse « Lotte », si connue et si célèbre.

Mais il est impossible que cela soit un homme ! Voyez cette taille, ce buste, ces bras classiques, tout cet air et ces manières ont un caractère décidément féminin !

On m’apprend que « Lotte » était autrefois comptable. Aujourd’hui elle ou plutôt il est exclusivement « Lotte » et il trouve son