Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le conçoit dans notre société actuelle. — Voyons donc ce qu’est cet ordre que l’anarchie veut détruire.

L’ordre, aujourd’hui, — ce qu’ils entendent par ordre, — c’est les neuf dixièmes de l’humanité travaillant pour procurer le luxe, les jouissances, la satisfaction des passions les plus exécrables à une poignée de fainéants.

L’ordre, c’est la privation de ces neuf dixièmes de tout ce qui est la condition nécessaire d’une vie hygiénique, d’un développement rationnel des qualités intellectuelles. Réduire neuf dixièmes de l’humanité à l’état de bêtes de somme vivant au jour le jour, sans jamais oser penser aux jouissances procurées à l’homme par l’étude des sciences, par la création artistique, — voilà l’ordre !

L’ordre, c’est la misère, la famine devenues l’état normal de la société. C’est le paysan irlandais mourant de faim ; c’est le paysan d’un tiers de la Russie mourant de diphtérie, de typhus, de faim à la suite de la disette, au milieu des entassements de blé qui filent vers l’étranger. C’est le peuple d’Italie réduit à abandonner sa campagne luxuriante pour rôder à travers l’Europe en cherchant un tunnel quelconque à creuser, où il risquera de se faire écraser après avoir subsisté quelques mois de plus. C’est la terre enlevée au paysan pour l’élève du bétail qui servira à nourrir les riches ; c’est la terre laissée en friche plutôt que d’être restituée à celui qui ne demande pas mieux que de la cultiver.

L’ordre, c’est la femme qui se vend pour nourrir ses enfants, c’est l’enfant réduit à être enfermé dans une fabrique, ou à mourir d’inanition, c’est l’ouvrier réduit à l’état de machine. C’est le fantôme de l’ouvrier