de tel pays se trouve en retard sur la modification économique qui s’y opère, alors il est brusquement renversé, remanié, remodelé, de manière à s’approprier au régime économique qui s’établit. Mais d’autre part, s’il arrive que, lors d’une révolution, ce régime politique devance la modification économique, il reste à l’état de lettre morte, de formule, inscrite dans les chartes, mais sans application réelle. Ainsi, la déclaration des Droits de l’Homme, quel que fût son rôle dans l’histoire, n’est plus qu’un document historique, et ces beaux mots de Liberté, Égalité, Fraternité resteront à l’état de rêve ou de mensonge inscrits sur les murs des églises et des prisons, tant que la liberté et l’égalité ne deviendront pas la base des relations économiques. Le suffrage universel eût été aussi inconcevable dans une société basée sur le servage, que le despotisme dans une société qui aurait pour base ce que l’on nomme la liberté des transactions et qui est plutôt la liberté de l’exploitation.
Les classes ouvrières de l’Europe occidentale l’ont bien compris. Elles savent ou devinent que les sociétés continueront à étouffer dans les institutions politiques existantes, tant que le régime capitaliste d’aujourd’hui ne sera pas renversé. Elles savent que ces institutions, quoique revêtues de beaux noms, sont cependant la corruption et la domination du plus fort érigées en système, l’étouffement de toutes les libertés et de tout progrès ; elles savent que l’unique moyen de secouer ces entraves serait d’établir les relations économiques sur un nouveau système, celui de la propriété collective. Elles savent enfin que pour accomplir une révolution politique profonde et durable, il faut accomplir une révolution économique.