Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/223

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Dans les États actuels une loi nouvelle est considérée comme un remède à tous les maux. Au lieu de réformer soi-même ce qui est mauvais, on commence par demander une loi qui le modifie. La route entre deux villages est-elle impraticable, le paysan dit qu’il faudrait une loi sur les routes vicinales. Le garde champêtre a-t-il insulté quelqu’un, en profitant de la platitude de ceux qui lui témoignent leur respect, — « Il faudrait une loi, dit l’insulté, qui prescrive aux gardes champêtres d’être plus polis. » Le commerce, l’agriculture ne marchent pas ? — « C’est une loi protectrice qu’il nous faut », — ainsi raisonnent le laboureur, l’éleveur de bétail, le spéculateur en blés ; il n’y a pas jusqu’au revendeur de vieilles loques qui ne demande une loi pour protéger son petit commerce. Le patron baisse-t-il les salaires ou augmente-t-il la journée de travail, — « il faut une loi qui mette ordre à cela ! » — s’écrient les députés en herbe, au lieu de dire aux ouvriers qu’il y a un autre moyen, bien plus efficace « de mettre ordre à cela » : — reprendre au patron ce dont il a dépouillé des générations d’ouvriers. Bref, partout une loi ! une loi sur les routes, une loi sur les modes, une loi sur les chiens enragés, une loi sur la vertu, une loi pour opposer une digue à tous les vices, à tous les maux qui ne sont que le résultat de l’indolence et de la lâcheté humaine !

Nous sommes tous tellement pervertis par une éducation qui dès le bas-âge cherche à tuer en nous l’esprit de révolte et développe celui de soumission à l’autorité ; nous sommes tellement pervertis par cette existence sous la férule de la Loi qui réglemente tout : notre naissance, notre éducation, notre développe-