Page:Kropotkine — Paroles d'un Révolté.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et, en introduisant dans ces sciences d’observation un langage faux, emprunté à la théologie et à l’autoritarisme, on parvient habilement à nous brouiller l’intelligence, toujours pour maintenir le respect de la loi. Le journal fait la même besogne : il n’y a pas d’article dans les journaux qui ne propage l’obéissance à la loi, lors même qu’à la troisième page on constate chaque jour l’imbécillité de la loi et que l’on montre comment elle est traînée dans toutes les boues, dans toutes les ordures par ceux qui sont préposés à son maintien. Le servilisme devant la loi est devenu une vertu, et je doute même qu’il y ait un seul révolutionnaire qui n’ait débuté dans son jeune âge par être défenseur de la loi contre ce qu’on nomme généralement « les abus », conséquence inévitable de la loi elle-même.

L’art fait chorus à la soi-disant science. Le héros du sculpteur, du peintre et du musicien couvre la Loi de son bouclier et, les yeux enflammés et les narines ouvertes, il est prêt à frapper de son glaive quiconque oserait y toucher. On lui élève des temples, on lui nomme des grands prêtres auxquels les révolutionnaires eux-mêmes hésitent à toucher, et si la Révolution vient balayer une ancienne institution, c’est encore par une Loi qu’elle essaie de consacrer son œuvre.

Ce ramassis de règles de conduite, que nous ont léguées l’esclavage, le servage, le féodalisme et la royauté qu’on appelle Loi, a remplacé ces monstres de pierre devant lesquels on immolait les victimes humaines, et que n’osait même effleurer l’homme asservi, de peur d’être tué par les foudres du ciel.