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des superstitions, dignes de barbares, exposés en conséquence à servir toujours de jouets aux imposteurs religieux.

Ou bien, jetez seulement un coup d’œil sur ce que la science a fait pour élaborer les bases rationnelles de l’hygiène physique et morale. Elle nous dit comment nous devons vivre pour conserver la santé de notre corps, comment maintenir en bon état nos agglomérations de populations ; elle indique la voie du bonheur intellectuel et moral. Mais tout le travail immense accompli dans ces deux voies, ne reste-t-il pas à l’état de lettre morte dans nos livres ? Et pourquoi cela ? — Parce que la science, aujourd’hui, n’est faite que pour une poignée de privilégiés, parce que l’inégalité sociale qui divise la société en deux classes, celle des salariés et celle des détenteurs du capital, fait de tous les enseignements sur les conditions de la vie rationnelle comme une raillerie pour les neuf dixièmes de l’humanité.

Je pourrais vous citer encore bien des exemples, mais j’abrège : sortez seulement du cabinet de Faust dont les vitraux noircis de poussière laissent à peine pénétrer sur les livres la lumière du grand jour, regardez autour de vous et à chaque pas vous trouverez vous-mêmes des preuves à l’appui de cette idée.

Il ne s’agit plus en ce moment d’accumuler les vérités et les découvertes scientifiques. Il importe avant tout de répandre les vérités acquises par la science, de les faire entrer dans la vie, d’en faire un domaine commun. Il importe de faire en sorte que tous, l’humanité entière, deviennent capables de se les assimiler, de les appliquer : que la science cesse d’être un luxe, qu’elle soit la base de la vie de tous. La justice le veut ainsi.

Je dirai plus : c’est l’intérêt de la science elle-même qui l’impose. La science ne fait de progrès réels que lorsqu’une vérité nouvelle trouve déjà un milieu préparé à l’accepter. La théorie de l’origine mécanique de la chaleur, énoncée au siècle passé presque dans les mêmes termes que l’énoncent Hirn et Clausius, resta enfouie dans les Mémoires académiques jusqu’à ce que les connaissances physiques aient été suffisamment répandues pour créer