Page:Kropotkine - L'Action anarchiste dans la révolution, 1914.djvu/17

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science qui sert à justifier la domination. Elle sait ce qu’elle veut, elle sait ce qu’il faut pour que son idéal de société se maintienne ; et tant que le travailleur ne saura pas, lui aussi, ce qu’il lui faut, et comment y arriver, il devra rester l’esclave de celui qui sait.

Il serait certainement absurde de vouloir élaborer, dans l’imagination, une société telle qu’elle devra sortir de la révolution. Ce serait du byzantinisme que de se quereller d’avance sur les moyens de pourvoir à tel besoin de la société future, ou sur la façon d’organiser tel détail de la vie publique. Les romans que nous faisons sur l’avenir ne sont destinés qu’à préciser nos aspirations, à démontrer la possibilité d’une société sans maître, à voir si l’idéal peut être appliqué, sans se heurter à des obstacles insurmontables. Le roman reste roman. Mais il y a toujours certaines grandes lignes, sur lesquelles il faut tomber d’accord pour construire quoi que ce soit.

Les bourgeois de 1789 savaient parfaitement qu’il serait oiseux de discuter les détails du gouvernement parlementaire qu’ils rêvaient ; mais ils étaient d’accord sur deux points essentiels : ils voulaient un gouvernement fort, et ce gouvernement devait être représentatif. Plus que cela : il devait être centralisé, ayant pour organes dans les provinces une hiérarchie de fonctionnaires, ainsi que toute une série de petits gouvernements dans les municipalités élues. Mais aussi, il devait être constitué de deux branches séparées : le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ce qu’ils appelaient « la justice » devait être indépendant du pouvoir exécutif, et aussi, jusqu’à un certain degré, du pouvoir législatif.

Sur deux points essentiels de la question économique ils étaient d’accord. Dans leur idéal de société la propriété privée devait être mise hors de discussion, et la soi-disant « liberté du contrat » devait être proclamée comme principe fondamental de l’organisation. Ce qui plus est, les meilleurs d’entre eux croyaient, en effet, que ce principe allait réellement régénérer la société et devenir une source d’enrichissement pour tous.

D’autant plus accommodants sur les détails qu’ils étaient fermes sur ces points essentiels, ils purent, en