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duisirent parmi les tribus et les confédérations de tribus qui habitaient l’Asie centrale et boréale. Des flots de peuplades, poussées par des peuples plus ou moins civilisés, descendus des hauts plateaux de l’Asie — chassés probablement par la dessiccation rapide de ces plateaux — virent inonder l’Europe, se poussant les unes les autres et se mélangeant les uns aux autres dans leur épanchement vers l’occident.

Durant ces migrations, où tant de tribus d’origine diverse furent mélangées, la tribu primitive qui existait encore chez la plupart des habitants sauvages de l’Europe devait nécessairement se désagréger. La tribu était basée sur la communauté d’origine, sur le culte des ancêtres communs ; mais quelle communauté d’origine pouvait invoquer ces agglomérations qui sortaient du tohu-bohu des migrations, des poussées, des guerres entre tribus, pendant lesquelles çà et là on voyait surgir la famille paternelle — le noyau formé de l’accaparement par quelques-uns des femmes conquises ou enlevées chez d’autres tribus voisines ?

Les liens anciens étaient brisés, et sous peine de débandade (qui eut lieu, en effet, pour mainte tribu, disparue désormais pour l’histoire), de nouveaux liens devaient surgir. Et ils surgirent. Ils furent trouvés dans la possession communale de la terre, — du territoire, sur lequel telle agglomération avait fini par s’arrêter.

La possession commune d’un certain territoire — de tel vallon, de telles collines — devint la base d’une nouvelle entente. Les dieux-ancêtres avaient perdu toute signification ; alors les dieux locaux, de tel vallon, de telle rivière, de telle forêt, vinrent donner la consécration religieuse aux nouvelles agglomérations, en se substituant aux dieux de la tribu primitive. Plus tard, le christianisme, toujours prêt à s’accommoder des survivances païennes, en fit des saints locaux.

« Désormais, la commune de village, composée en partie ou entièrement de familles séparées, — tous unis, cependant, par la possession en commun de la terre, — devint, pour des siècles à venir, le trait d’union nécessaire. »

Sur d’immenses territoires de l’Europe orientale, en Asie, en Afrique, elle existe encore. Les barbares qui détruisirent l’empire romain — Scandinaves, Germains, Celtes, Slaves, etc., — vivaient sous cette espèce d’organisation. Et, en étudiant les codes barbares dans le passé, ainsi que les confédérations des communes de village qui existent aujourd’hui chez les Kabyles, les Mongols, les Hindous, les Africains, etc., il a été possible de reconstituer dans son entier cette forme de société, qui représente le point de départ de notre civilisation actuelle.

Jetons donc un coup d’œil sur cette institution.