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Page:Kropotkine - L’État - son rôle historique, 1906.djvu/20

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lue de l’esprit unitaire et centralisateur romain, par lequel on cherche à expliquer l’histoire dans notre enseignement universitaire. Il ne se rattache non plus à aucune personnalité historique, ni à aucune institution centrale.

C’est une croissance naturelle, appartenant, comme la tribu et la commune de village, à une certaine phase de l’évolution humaine, et non pas à telle nation ou à telle région.

C’est pourquoi la science universitaire ne la saisit pas, et c’est pourquoi Augustin Thierry et Sismondi qui, eux, avaient compris l’esprit de l’époque, n’ont pas eu de continuateurs en France, où Luchaire est encore seul aujourd’hui à reprendre plus ou moins la tradition du grand historien des époques mérovingienne et communaliste ; C’est pourquoi encore, en Angleterre et en Allemagne, le réveil des études sur cette période, et une vague compréhension de son esprit, sont d’origine toute récente.

La commune du moyen âge, la cité libre, tire son origine, d’une part, de la commune de village et, d’autre part, de ces mille fraternités et guildes qui furent constituées en dehors de l’union territoriale. Fédération entre ces deux sortes d’unions, elle s’affirme sous la protection de son enceinte fortifiée et de ses tourelles.

Dans mainte région, elle fut une croissance naturelle. Ailleurs, — et c’est une règle pour l’Europe occidentale, — elle fut le résultat d’une révolution. Lorsque les habitants de telle bourgade se sentaient suffisamment protégés par leurs murs, ils faisaient une « con-juration ». Ils se prêtaient mutuellement serment d’abandonner toutes leurs affaires pendantes concernant les insultes, les batteries et les blessures, et ils juraient, dans les querelles qui surgiraient désormais, de ne jamais plus recourir à un autre juge que les syndics qu’ils nommeraient eux-mêmes. Dans chaque guilde d’art ou de bon voisinage, dans chaque fraternité jurée, c’était depuis longtemps la pratique régulière. Dans chaque commune de village, telle avait été la pratique autrefois, avant que l’évêque ou le roitelet eût réussi à y introduire, et plus tard à y imposer, son juge.

Maintenant, les hameaux et les paroisses dont se composait la bourgade, ainsi que toutes les guildes et fraternités qui s’y étaient développées, se considéraient comme une seule amitas, nommaient leurs juges et juraient l’union permanente entre tous ces groupes.

Une charte était vite bâclée et acceptée. Au besoin, on envoyait copier la charte de quelque petite commune voisine (on connaît aujourd’hui des centaines de ces chartes), et la commune était constituée. L’évêque ou le prince, qui avait été jusque-là le juge dans la commune, et souvent en était devenu plus ou moins le maître, n’avait