liers, et l’achat des provisions fait par la cité, pour les distribuer aux citoyens au prix de revient, — avec ces éléments, les villes du moyen âge, pendant les deux premiers siècles de leur vie libre, devinrent des centres de bien-être pour tous les habitants, des centres d’opulence et de civilisation, comme on n’en a plus revu dès lors.
Que l’on consulte les documents qui permettent d’établir le taux de rémunération du travail, comparé au prix des denrées, — Rogers l’a fait pour l’Angleterre et un grand nombre d’écrivains allemands l’ont fait pour l’Allemagne — et l’on voit que le travail de l’artisan, et même du simple journalier, était rémunéré à cette époque à un taux qui n’est pas atteint de nos jours, même pour l’élite ouvrière. Les livres de compte de l’Université d’Oxford et de certaines propriétés anglaises, ceux d’un grand nombre de villes allemandes et suisses, sont là pour le témoigner.
Que l’on considère, d’autre part, le fini artistique et la quantité de travail décoratif que l’ouvrier mettait alors, aussi bien dans les belles œuvres d’art qu’il produisait, que dans les choses les plus simples de la vie domestique, — une grille, un chandelier, une poterie, — et l’on voit que dans son travail il ne connaissait pas la presse, la hâte, le sur-travail de notre époque ; qu’il pouvait forger, sculpter, tisser, broder à loisir — comme un très petit nombre seulement d’ouvriers-artistes parmi vous peuvent le faire de nos jours.
Et que l’on parcoure enfin les donations faites aux églises et aux maisons communes de la paroisse, de la guilde ou de la cité, soit en œuvres d’art — en panneaux décoratifs, en sculptures, en métal forgé ou coulé, — soit en argent, et l’on comprend quel degré de bien-être ces cités surent réaliser dans leur sein ; on conçoit l’esprit de recherche et d’invention qui y régnait, le souffle de liberté qui inspiraient leurs œuvres, le sentiment de solidarité fraternelle qui s’établissait dans ces guildes, où les hommes d’un même métier étaient liés, non pas seulement par le côté mercantile ou technique du métier, mais par des liens de sociabilité, de fraternité. N’était-ce pas en effet la loi de la guilde que deux frères devaient veiller au lit de chaque frère malade, — usage qui demandait certes du dévouement à ces époques de maladies contagieuses et de pestes, — le suivre jusqu’au tombeau, prendre soin de sa veuve et de ses enfants ?
La misère noire, l’abaissement, l’incertitude du lendemain pour le grand nombre, l’isolement dans la pauvreté, qui caractérisent nos cités modernes, étaient absolument inconnus dans ces « oasis, libres, surgies au XIIe siècle au milieu de la forêt féodale ».
Dans ces cités, à l’abri des libertés conquises, sous l’impulsion de l’esprit de libre entente et de libre initiative, toute une civilisation