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Page:Kropotkine - L’État - son rôle historique, 1906.djvu/35

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Qu’en resta-t-il deux siècles plus tard ? — Des villes qui avaient compté jusqu’à cinquante et cent mille habitants et avaient possédé (c’était le cas de Florence) plus d’écoles et, dans les hôpitaux communaux, plus de lits par habitant que n’en possèdent aujourd’hui les villes les mieux dotées sous ce rapport — sont devenues des bourgades pourries. Leurs habitants massacrés ou déportés, l’État et l’Église s’emparent de leurs richesses. L’industrie se meurt sous la tutelle minutieuse des employés de l’État. Le commerce est mort. Les routes mêmes, qui jadis reliaient ces villes entre elles, sont devenues absolument impraticables au XVIIe siècle.

L’État, c’est la guerre. Et les guerres ravagent l’Europe, achevant de ruiner les villes que l’État n’a pas encore ruinées directement.

Les villages, du moins, n’avaient-ils pas gagné à la concentration étatiste ? — non, certainement ! — Lisez ce que nous disent les historiens sur la vie dans les campagnes en Écosse, en Toscane, en Allemagne au XIVe siècle, et comparez leurs descriptions d’alors avec celles de la misère en Angleterre aux approches de 1648, en France sous le « Roi-Soleil », Louis XIV, en Allemagne, en Italie, partout, après cent ans de domination étatique.

La misère — partout. Tous sont unanimes à la reconnaître, à la signaler. Là où le servage avait été aboli, il se reconstitue sous mille formes nouvelles ; et là où il n’avait pas encore été détruit, il se modèle, sous l’égide de l’État, en une institution féroce, portant tous les caractères de l’esclavage antique ou pire.

Mais pouvait-il sortir autre chose de la misère étatiste, puisque sa première préoccupation fut d’anéantir la commune de village après la ville, de détruire tous les liens qui existaient entre paysans, de livrer leurs terres au pillage des riches, de les soumettre, chacun individuellement, au fonctionnaire, au prêtre, au seigneur ?

VIII

Annihiler l’indépendance des cités ; piller les riches guildes de marchands et d’artisans ; centraliser entre ses mains le commerce extérieur des cités, et le ruiner ; s’emparer de toute l’administration intérieure des guildes et soumettre le commerce intérieur, ainsi que la fabrication de toute chose jusque dans ses moindres détails, à une nuée de fonctionnaires — et tuer de cette façon l’industrie et les arts ; s’emparer des milices locales et de toute l’administration municipale,