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Page:Kropotkine - L’État - son rôle historique, 1906.djvu/41

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— « Toutes alliances, connivences, congrégations, chapitres, ordinances et serments, faits ou à faire entre charpentiers et maçons, seront nulles et annulées », lit-on déjà dans un édit du roi d’Angleterre Édouard III, à la fin du XIVe siècle. Mais il a fallu la défaite des villes et des insurrections populaires dont nous avons parlé, pour que l’État osât mettre la main sur toutes les institutions — guildes, fraternités, etc., — qui reliaient entre eux les artisans, et les anéantir.

C’est ce qui se voit si bien en Angleterre, où l’on possède une masse de documents pour suivre ce mouvement pas à pas. Peu à peu, l’État met la main sur toutes les guildes et les fraternités. Il les serre de près, abolit leurs conjurations, leurs syndics, qu’il remplace par ses fonctionnaires, leurs tribunaux, leurs festins ; et, au commencement du XVIe siècle, sous Henri VIII, l’État confisque sans autre forme de procédure tout ce que possèdent les guildes. L’héritier du grand roi protestant achève son œuvre.

C’est un vol au grand jour, sans excuses, comme l’a si bien dit Thorold Rogers. Et c’est encore ce vol que les économistes soi-disant scientifiques vont représenter comme la mort « naturelle » des guildes, sous l’influence des lois économiques !

En effet, l’État pouvait-il tolérer la guilde, la corporation de métier, avec son tribunal, sa milice, sa caisse, son organisation jurée ? C’était « l’État dans l’État » ! L’État, le vrai, devait la détruire, et il la détruisit partout : en Angleterre, en France, en Allemagne, en Bohême, n’en conservant que les apparences, comme instrument du fisc, comme partie de sa vaste machine administrative.

Et — faut-il s’étonner que les guildes, les maîtrises et les jurandes, dépourvues de tout ce qui autrefois faisait leur vie, placées sous des fonctionnaires royaux, devenues simples rouages de l’administration, n’étaient plus, au XVIIIe siècle, qu’un encombrement, qu’un obstacle au développement des industries, alors qu’elles en furent la vie même quatre siècles auparavant ? L’État les avait tuées.

Mais il ne suffisait pas à l’État d’abolir ainsi tous les rouages de la vie intime des conjurations de métiers, qui le gênaient en se plaçant entre lui et ses sujets. Il ne lui suffisait pas de confisquer leurs caisses et leurs propriétés. Il devait s’emparer de leurs fonctions, aussi bien que de leur argent.

Dans une cité du moyen âge, lorsque les intérêts se trouvaient en conflit dans un même métier, ou que deux guildes différentes se trouvaient en désaccord, il n’y avait d’autre recours que la cité. Force leur était de s’arranger, d’arriver à un compromis quelconque, puisque toutes se trouvaient liées mutuellement dans la cité. Et jamais